Après un périple qui l’a conduit jusqu’au-delà de nos frontières, le Professeur Sicard a rendu son rapport sur les représentations et les attentes autour des conditions de la fin de vie.
Ceux d’entre nous qui ont participé à l’une des rencontres qui ont nourri la réflexion ont pu percevoir à quel point, au-delà des partisans purs et durs pour des raisons qui les dépassent parfois eux-mêmes, les personnes se sont exprimées avec tact et délicatesse. Les réflexions étaient nourries, les sentiments sincères, les attentes légitimes.Revendiquer le droit de bénéficier de soins palliatifs dignes de ce nom, et avoir les moyens de prendre soin, pouvoir refuser de subir jusqu’au bout les effets terribles d’une maladie dégénérative, tels étaient les points abordés par ceux qui travaillent, ceux qui subissent, ceux qui portent en eux les ravages des agonies dévastatrices, ceux qui ont peur.
» Mourir dans la dignité » : qui voudrait mourir dans l’indignité et de quelle dignité parle-t-on ?
Dans nos cultures Occidentales, les réponses aux besoins doivent être immédiates ; la consommation remplit les vides existentiels, les corps confondus des hommes et des femmes doivent répondre aux critères des modes qui les habillent d’uniformité. La » science » ne saurait faillir à sa toute puissance, répondant à chaque volonté de refaire la vie, les corps, les réparations, les guérisons.
Comme on survole les lieux pour passer de l’un à l’autre sans faire le voyage, on doit passer de vie à trépas sans traverser l’agonie qui est du temps perdu, inutile puisque l’échéance est là,
désagréable pour chacun et » couteuse « .
Alors, supprimons aussi ce passage, comme on a évincé tous les rituels qui permettaient aux sociétés de vivre collectivement les moments heureux et malheureux d’une existence humaine. Soyons pragmatiques, rationnels, utilitaristes, simplistes, sans âme et consommons sans vergogne les petites pilules du bonheur, puisqu’elles sont remboursées et camouflent les vides.
Alors qu’est-ce qu’une vie, si elle n’est pas faite pour s’éprouver ?
Que faire avec cette conscience d’être qui nous permet de ressentir, d’infléchir le cours du destin, de donner sens à tout ce qui survient ?
Partir, c’est mourir un peu, mais ce n’est pas disparaître tout-à-fait ; ce n’est pas laisser un vide rempli aussitôt des choses de l’oubli.
Le lien qui unit les êtres, quoi qu’on en dise, ne saurait s’effacer selon le bon vouloir des idéologies, d’où qu’elles viennent.
Nous ne naissons pas humain, nous le devenons au contact des autres, il nous faut puiser en eux ce langage qui nous fait reproduire et repérer la vie.Souffrir et voir souffrir est d’autant plus douloureux que nous le vivons dans la solitude et sans l’appui des rites qui, transmis au fil du temps, portaient collectivement les moments dramatiques.La mise à distance de la mort est une absurdité qui nous remonte comme un repas mal digéré.
On veut gommer la fin de vie comme on a gommé l’enfance qui laissait aux petits le loisir de s’inspirer par eux-mêmes de la vie foisonnante des petits riens.
On veut tout savoir sans comprendre, passer sans rien voir, absorber sans goûter ; laisser le monde lisse des apparences nous tromper.
Nous qui travaillons auprès de ceux qui souffrent, savons que partager les épreuves rend riche et profond et nous nous efforçons de tendre la main pour faire la traversée dans les moments où les
forces se dérobent.
Nous leur proposons d’être là, au plus juste de la relation, au plus humain de la rencontre.
Nous refusons que s’impose le pouvoir du médical, mais nous refusons aussi que s’installe en nos coeurs l’idée que pourraient surgir des êtres invulnérables, infaillibles et sans esprit, déjà morts avant que d’être nés.Nous refusons que soit déshumanisée la fin de vie, comme la vie elle-même.
Eugénie PORET