Joëlle DULAUROY, psychologue et formatrice à l’UNASP, est venue faire partager, à une trentaine de bénévoles de l’ASPEC réunis à Caen, le fruit de son expérience de 20 ans de pratique d’animation de groupes de parole.
Un groupe de parole est cet outil à la disposition des bénévoles, à la fois obligatoire, ce qui peut susciter des réactions de rejet, et pourtant si utile et bénéfique, à condition d’accepter « d’y entrer ».
Joëlle DULAUROY a exercé ce rôle d’animatrice depuis des années « avec joie, même si ce n’est pas toujours simple », précise-t-elle, auprès de soignants et de bénévoles. Elle-même est convaincue de la nécessité de cet outil. Mais comment passer de l’ « obligation » à la perception d’une « nécessité » ?
Depuis les années 80 et la Circulaire Laroque (août 1986) il a été question des groupes de parole, au départ surtout pour les services dit « lourds », où se vivait la confrontation à la maladie incurable et à la mort, où pouvaient se rencontrer des situations d’impuissance et d’échec. Il s’agissait d’améliorer la relation aux malades traversant la crise de fin de vie, et à leurs proches.
La loi du 9 juin 1999, visant à garantir l’accès aux soins palliatifs, précise que les bénévoles doivent être sélectionnés, formés, encadrés, soutenus. Le groupe de parole est un soutien privilégié.
Ce qu’est et n’est pas un groupe de parole.
C’est un outil, mais pas un lieu de thérapie personnelle, même s’il peut y avoir des résonnances avec notre propre histoire. Ce n’est pas non plus une thérapie de groupe, ni une supervision d’équipe, ni un groupe d‘analyse de pratique, pas plus qu’un espace de gestion de conflit. Ce n’est pas non plus le lieu d’exposés théoriques ou d’apport de savoir.
Il s’exerce dans un temps défini, régulier, entre bénévoles d’une équipe ou inter-équipes. Il s’agit de parler de ce qui est vécu après des malades, des proches et des soignants. Le but n’est pas de parler du malade, ce qui pourrait conduire à l’évitement de parler de soi, mais on peut en dire quelques mots et donner quelques références théoriques si nécessaire.
Que penser de la place du coordinateur d’équipe ? C’est une vraie question car il assiste au groupe en tant que bénévole mais entend les autres. La confidentialité protège le fonctionnement de ces groupes, c’est la confiance qui est en jeu.
Le psychologue est rémunéré par l’association et n’exerce pas dans le service où interviennent les bénévoles.
La notion d’obligation.
Ces groupes constituent un soutien privilégié, posé par les associations comme obligatoire pour les bénévoles actifs et ce, pendant toute la durée de leurs accompagnements.
Obligatoire ? Le simple mot peut « hérisser ». Il convient d’y adhérer même si l’intérêt n’apparaît pas comme évident dès le début, il faut accepter de se laisser faire. On a le droit de dire qu’on n’y est pas à l’aise mais adhérer est indispensable pour qu’il « se passe quelque chose ». Le bénévole ne peut tenir sa place de tiers, issu de la société, sans être parfois bousculé, traversé de sentiments divers : le groupe de parole répond à cette expérience. Il s’agit de se poser la question : « comment suis-je travaillé par mes accompagnements ? ». Dans sa démarche, le bénévole a une responsabilité, celle de la qualité de sa présence auprès des autres. Il s’agit d’une démarche volontaire et il doit se donner les moyens de l’exercer correctement : personne ne peut prendre le risque d’écouter dans la durée, sans être lui-même dans un espace où il est écouté. Si on imagine qu’on peut s’en passer, on prend alors le risque de la toute puissance et on le fait courir à l’autre.
Que faire des « échos » qui se font en nous ? On peut fermer, enfermer, alors que dire et écouter c’est au contraire ouvrir. Une métamorphose peut se produire avec le temps, à condition qu’on se place dans une position d’ouverture, sinon ça « glisse sur nous » et ne nous transforme pas.
Le groupe de parole peut devenir un besoin, voire une nécessité. Ou alors il peut rester quelque chose de subi et l’absentéisme peut devenir récurrent, ces comportements nuisent au bon fonctionnement du groupe, sont difficiles à vivre pour le professionnel qui anime le groupe et pour le coordinateur qui doit relancer les bénévoles concernés. L’association a un rôle à jouer pour que ces groupes soient un espace « ressource ». Leur fonctionnement peut être évalué une fois par an. Ce n’est pas une obligation mais cette synthèse peut servir de support à la réflexion sur la façon de travailler ensemble avec le professionnel recruté. Les groupes de paroles sont des groupes fermés, évoluant à l’occasion d’accueil ou de départ de bénévoles.
Les règles mises en place doivent être validées par tous.
Celles qui peuvent être retenues comme essentielles :
L’assiduité, la participation active à laquelle le psychologue doit veiller, tout en respectant le rythme de chacun. Il s’agit aussi d’accueillir la parole de l’autre, sans jugement, sans interrompre. Favoriser la parole à partir du « je ». Éviter des réactions de violence ou d’envie de fuite en cas de pleurs ou de colère. En revanche on est en droit de dire « ça me donne envie de partir », et on accompagne alors ces diverses réactions.
Respect du principe de confidentialité : tout ce qui se dit appartient au groupe, c’est une sorte « d’enveloppe », chacun en a la responsabilité, c’est le travail au sein du groupe qui en fait sa richesse, il convient de ne pas en faire état à l’extérieur. Ce doit être le lieu de la sécurité pour les bénévoles et les personnes qu’ils accompagnent
Les rôles de chacun.
Le psychologue anime, il est garant du groupe. Il peut repérer qu’un bénévole est en train de se mettre en danger et peut en faire part à l’association sans trahir la confidentialité. Il gère autant la parole, que le silence qui fait également son œuvre. Il veille à la régulation de la parole, à ce que chacun puisse s’exprimer, il est vigilant sur la dynamique du groupe. Il évalue le non verbal (gestes, agacements…), il ne s’approprie pas la parole. Quand une situation est exposée par un des participants, les autres bénévoles réagissent, c’est ainsi que chacun nourrit et se nourrit du groupe. On se nourrit de ce qui survient, de l’inattendu, de l’agréable, mais il peut aussi y avoir de la lourdeur, des décalages peuvent apparaître entre les participants. Il a aussi pour mission de réguler, contenir les paroles envahissantes. Il est bon pour les bénévoles de préparer ces rencontres, de repenser aux accompagnements vécus depuis le précédent groupe et d’envisager ce qu’ils vont pouvoir « mettre au travail » à l’intérieur du groupe.
En conclusion, il ne convient pas de compter sur le psychologue pour « faire » le groupe, c’est bien la synergie qui va permettre que se fasse un travail. Une sorte d’alchimie se produit. Ou encore c’est comme une pierre précieuse qui, plus elle est taillée, plus elle réfléchit la lumière, « pour devenir un bijou » ajoute une bénévole, ce sera le mot de la fin !
Quelques questions ont été abordées suite à l’intervention de Joëlle DULAUROY.
- Nombre « idéal » de participants : de quelques-uns à une quinzaine, pour qu’à la fois la dynamique fonctionne et que chacun des participants puisse trouver sa place.
- Durée de ces rencontres : d’une heure à deux heures (durée choisie pour la pratique personnelle de l’intervenante).
- Périodicité : en général mensuelle. Toutefois, attendre le mois suivant, voire deux mois si on ne peut assister à un groupe, peut paraître trop long.
- Les bénévoles peuvent s’adresser à la coordinatrice pour toute question, ils ont aussi la possibilité d’échanger avec d’autres bénévoles. L’ASPEC propose également de consulter le psychologue par téléphone dans le cas d’une question urgente, en passant par un responsable. Il convient alors que l’échange puisse être repris au sein du groupe de parole.
Joëlle DULAUROY conclut en disant que le plus important est le rôle de « contenant » exercé par le psychologue au sein du groupe de parole dans lequel chacun des participants doit oser s’exposer au moyen du « je ».
Isabelle de Mézerac
Le 25 mai 2018