Après plus d’un an de débats, de navettes parlementaires et de crispations, la proposition de loi sur la fin de vie a enfin été adoptée définitivement ce mercredi 27 janvier. Derrière les applaudissements de tous bords quant à une meilleure accessibilité des soins palliatifs, transparaît encore la question du suicide assisté.
Quelques heures avant l’adoption définitive de la proposition de loi sur la fin de vie, lors des questions au Gouvernement devant l’Assemblée nationale ce 27 janvier, la ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes, Marisol Touraine, partageait son souhait d’une adoption la plus large possible du texte. « Plus le consensus sera large, plus il donnera de force à cette avancée majeure qui représente la connaissance du droit à mourir », soulignait-elle. Son vœu semble exaucé puisque députés et sénateurs se sont tour à tour positionnés favorablement pour la version concoctée par la commission mixte paritaire lors du vote de la proposition de loi. Toutefois, la notion de consensus, elle, reste largement discutable. Après un rapport, une concertation citoyenne et un an de pourparlers dans l’hémicycle, le débat, bien qu’arrêté au terme de la navette parlementaire en cette fin janvier, semble encore loin d’être enterré.
« Pas de consensus mais une convergence »
Pour reprendre la formule du sénateur Michel Amiel (RDSE, Bouches-du-Rhône), il n’y a « pas de consensus mais un texte de convergence ». À l’Assemblée nationale comme au Sénat, les groupes politiques ont ainsi salué de toutes parts les arbitrages réalisés par la commission mixte paritaire, le 19 janvier dernier (lire ci-contre). Malgré l’apparente hégémonie de la philosophie du tout soins palliatifs dans les prises de parole, plusieurs voix ont émis des réserves. Abstentionnistes, les Écologistes et les Radicaux de gauche déplorent « un rendez-vous manqué » et décrient un texte à « l’ambiguïté persistante » dont ils promettent en résultante « des procédures judiciaires douloureuses ». Est mis en cause, à demi-mots, l’excès de prudence du Gouvernement qui, en entendant rassembler les camps du pour et du contre euthanasie autour de la promesse du candidat Hollande, aura fait l’impasse sur le droit à mourir. « Par crainte d’une nouvelle mobilisation sociale, laquelle sur ce sujet n’a pas eu lieu, le texte a été confié à Alain Claeys et de nouveau à Jean Léonetti dont les convictions n’ont pas varié et qui a donc, d’emblée, fermé la porte à toute évolution, alors que les Français l’appellent pourtant de leurs vœux », a regretté la députée Véronique Massonneau (Écologiste, Vienne).
En fervente défenseur de la proposition 21* émise pendant la campagne présidentielle de 2012, Marisol Touraine a préféré couper court aux critiques. « Cet engagement est tenu, a-t-elle assuré devant les députés, non sans ignorer la persistance des dissensions. Sans doute y avait-il d’autres manières de le concrétiser — c’est ce qui a fait l’enjeu de nos débats —, mais nul ne peut dire que cet engagement ne trouve pas un aboutissement. » Pour l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), la lecture est inverse, « la proposition 21 du candidat Hollande nous a quittés, affirment les jeunes de l’ADMD, la promesse d’une loi légalisant l’euthanasie est morte » pour être remplacée par ce qu’ils qualifient d’une troisième loi Léonetti.
Le texte trop libre à interprétation du médecin ?
Dans le texte, le médecin pourra « mettre en place l’ensemble des traitements analgésiques et sédatifs même s’ils peuvent avoir comme effet d’abréger la vie ». Cette formulation est jugée trop vague pour certains, qui auraient préféré y distinguer « des choix clairs et encadrés de fin de vie ». D’après Véronique Massonneau, les « réticences des conservateurs comme des progressistes » auront ainsi conduit à une prudence déplacée au regard de l’application de la loi. Selon elle, le manque de précision implique par exemple qu’un « médecin pourra donc augmenter plus ou moins les doses d’analgésiques et de sédatifs selon sa propre interprétation du texte, à la seule condition qu’il s’abstienne de provoquer délibérément la mort ».
Ériger les malades en décideurs.
Si, comme le rappelle en effet Jean Léonetti (Les Républicains, Alpes-Maritimes), « ce texte ne vise pas à ouvrir un droit à la mort, à l’euthanasie ou à un suicide assisté », la future loi aura néanmoins permis, pour le Gouvernement, d’affirmer la place centrale du malade dans ses choix de fin de vie. « La force de ce texte est de renverser la logique de décision », a repris Marisol Touraine en insistant à plusieurs reprises sur « l’avancée historique » que constitue ce nouveau texte. Au-delà, il s’agit, pour Alain Claeys (SRC, Vienne), rapporteur pour la commission mixte paritaire et co-auteur du rapport sur la fin de vie, de combattre « le mal-mourir ». Alors que 190 millions d’euros (M€) ont été débloqués pour la création de six nouvelles unités de soins palliatifs d’ici à 2018, leur accès reste particulièrement inégalitaire. D’après les chiffres avancés en séance, deux tiers des 15 000 personnes décédées aux urgences auraient eu besoin de soins palliatifs alors que 7,5% d’entre elles seulement en ont bénéficié.
Reste à s’assurer, une fois la loi promulguée, de la bonne application de certains objectifs. « La manière dont les décrets d’application seront rédigés sera primordiale pour l’avenir du texte, a souligné Alain Claeys, en évoquant notamment le modèle nécessaire à l’élaboration des directives anticipées, à détailler clairement pour éviter les interprétations. « En dépendent à la fois leur plus grande capacité à s’imposer aux médecins et l’augmentation de leur nombre dans notre pays. » Cruciale elle aussi, la « publicité de la loi, juge le député, décidera de sa réussite ou de son échec ». Communication auprès des citoyens sur leurs nouveaux droits donc, mais aussi, comme le rappelle le député Arnaud Richard (UDI, Yvelines), formation du personnel médical pour accompagner et rassurer continûment les familles, les proches et les malades – qu’il convient de « poursuivre et compléter ».
Demain, que dira la loi ?
La proposition de loi relative à la fin de vie permettra, une fois promulguée, de clarifier les conditions de l’arrêt des traitements au titre du refus de l’obstination déraisonnable. Est également instauré un droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès pour les personnes en phase terminale — « étape majeure pour le droit à ne pas souffrir » pour l’Élysée, qui se félicite dans un communiqué de l’aboutissement de l’engagement pris en 2012. À noter que cette sédation pourra être réalisée au domicile du patient ou en Ehpad, à sa demande. Les directives anticipées, actuellement réalisées par seulement 2,5% de la population, sont quant à elles devenues contraignantes et non opposables, et devront être reformulées tous les trois ans.
Agathe Moret
* La proposition 21, telle que rédigée par l’équipe de campagne de François Hollande prévoit « de permettre à toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, de demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité. »