«Quand on me présente quelque chose comme un progrès, je me demande avant tout s’il rend plus humain ou moins humain», George Orwell
Inlassablement les projets et propositions de loi, les tribunes et les pétitions viennent et reviennent encore réclamer la légalisation du droit à mourir. Inlassablement nous sommes sollicités, interrogés, auditionnés pour donner notre avis et exposer nos arguments.
Nous soignants et bénévoles de la Société Française d’Accompagnement de Soins Palliatifs (SFAP) fédérons 10 000 soignants et 6 000 bénévoles, en contact quotidien avec des milliers de personnes en fin de vie et leurs proches, sommes opposés à une telle législation :
- Elle viendrait à rebours de la révolution palliative en cours et des progrès sans cesse enregistrés dans le soulagement et l’accompagnement des personnes en fin de vie depuis 30 ans.
- D’expérience très peu de patients nous disent souhaiter mourir et bien moins encore nous le redisent lorsqu’ils sont soulagés et accompagnés. Une « liberté de mourir » qui serait motivée par une souffrance non soulagée ne serait pas un choix libre. Alors même que les recommandations pour la mise en œuvre de la Loi Claeys-Leonetti de 2016 ne sont pas encore publiées, il nous semble essentiel de ne pas accroître la vulnérabilité des personnes malades par des évolutions législatives permanentes.
- Une telle loi impliquerait de graves changements de notre pratique. Comment la transgression, même exceptionnelle, de l’interdit de tuer, pourrait-elle être sans effet sur ceux dont la mort approche et ceux qui les soignent? Une liberté donnée à un malade qui conduirait un soignant à donner la mort est-elle réellement l’exercice de l’autonomie?
Par ailleurs, nous refusons de nous laisser enfermer dans ce débat binaire qui réduit la question de la prise en charge des patients en fin de vie à celle de l’euthanasie.
Nous voulons promouvoir les valeurs qui nous rassemblent et qui sont le cadre de référence des soins palliatifs. Elles donnent du sens à notre travail et sont autant de balises, utiles au quotidien comme en temps de crise dans un monde complexe et en constante évolution.
Des valeurs d’humanité, d’attention et de sollicitude envers les personnes qui souffrent et ceux qui les entourent, de respect du déroulement de la vie en préservant sa qualité jusqu’à la fin. Le contrat de confiance qui unit les soignés et les soignants interdit à ces derniers de faire du mal volontairement à autrui et encore moins de faire mourir.
Ces valeurs du soin et du non-abandon fondent le mouvement des soins palliatifs qui considère la mort comme un processus naturel et non comme le résultat d’un geste volontaire. Donner la mort n’est pas un soin.
Des valeurs partagées par tous les acteurs, soignants ou bénévoles, simplement parce que l’autre, le souffrant, est une personne qui requiert écoute et présence.
Pour certains le respect de la vie, pour d’autres le refus de la toute puissance que serait le pouvoir ultime de donner la mort, pour d’autres encore une certaine humanité : devant l’autre souffrant, mourant : ne pouvoir qu’être là, impuissant parfois mais justement être là, impuissant.
Toutes ces valeurs fondent un choix de société : Non pas une société ultra libérale de l’individu autonome, indépendant de tous, maîtrisant sa vie et sa mort mais une société de la solidarité et de l’interdépendance prête à secourir la fragilité, une société du Care.